Synopsis : Les enfants de Holt Farrier, ex-artiste de cirque chargé de s’occuper d’un éléphanteau dont les oreilles démesurées sont la risée du public, découvrent que ce dernier sait voler…
Nous sommes en 1979, le deuxième choc pétrolier vient de débuter, Born to be alive résonne dans toutes les radios d’Europe et les bornes d’arcade Space Invaders se multiplient.
Mais 1979, c’est surtout le début d’une grande histoire. Celle d’un jeune garçon passionné d’animation et de dessin, poussant les portes de l’un des plus puissants et des plus prestigieux studio d’animation au monde ; Disney. Il a vingt-trois ans, mesure environ un mètre quatre-vingts ; et c’est avec les cheveux noirs flottants en totale liberté, les épaules tombantes et le teint pâle que le jeune Tim Burton débute sa carrière dans l’animation. En cette période fin soixante-dix/début quatre-vingts, les studios qui peinent encore à se remettre de la mort de leur créateur, survenue dix ans plus tôt, sont encore en hibernation. La firme emploie des chasseurs de têtes avec pour mission de dénicher de jeunes talents. C’est ainsi que le jeune Tim Burton, originaire de Burbank en Californie (là où se trouve également le siège de Disney) est repéré.
Seulement voilà ; Burton, malgré sa jeune expérience du métier, reproche au studio de l’enfermer dans une vision du dessin qui n’est pas la sienne et fait preuve d’une ténacité à toute épreuve en refusant de faire des concessions sur ses opinions artistiques. En effet sur Rox et Rouky, le dernier grand projet des studios, où Burton officie en tant qu’animateur, le jeune homme se dit incapable d’intégrer les “codes” du studio qu’il juge trop formatés. Il adapte son comportement en conséquence, en prenant l’habitude de dormir à moitié sur sa table à dessin, prêt à gribouiller à la moindre entrée inattendue dans son bureau. Les projets s’enchaînent et les déceptions également, Burton travaille sur Tron en tant qu’animateur pour la seconde fois et sur Taram et le chaudron magique en tant que concepteur artistique ; jusqu’à ce que Disney lui offrent enfin la possibilité de développer ses premiers courts-métrages, dont certains (notamment Vincent, 1982) remportent un grand succès critique, mais que Disney juge encore trop sombre et contraire à son ADN. Tim Burton décide alors de quitter les studios en 1984.
Il faudra attendre vingt-six ans (2010) avant que le réalisateur, désormais mondialement reconnu, accepte de renouer avec la firme aux grandes oreilles afin de mettre en chantier leur dernier projet, la suite du roman de Lewis Caroll, Alice aux pays des merveilles. Burton renoue une seconde fois avec Disney pour son film d’animation Frankenweenie en 2012, projet qu’il souhaitait réaliser depuis 25 ans.
Pour leur troisième collaboration donc, Tim Burton et Disney s’attaquent à l’adaptation de Dumbo, tiré du film éponyme sorti en 1941, lui-même tiré du livre de Helen Aberson paru en 1939.
Mais alors, Dumbo au cinéma par Tim Burton, qu’est-ce que cela donne ?
Autant le dire tout de suite, j’ai certes voyagé pendant cette séance, mais pas aussi loin que mes oreilles auraient pu me porter. Le dernier né de Burton semble passer péniblement la barre du “c’est pas mal” à l’instar des autres films du réalisateur sortis ces dix dernières années ; à l’exception bien entendu de Miss Pilgrime et les enfants particuliers (2016) et de Frankenweenie (2012), qui étaient tous deux excellents.
Cela démarrait très mal avec ce qui semblait être pendant le premier tiers du film, une histoire très plate ou des acteurs défilent sur des fonds verts. Le problème n’est pas nouveau, beaucoup de films récents font un usage excessif de la 3D dans les décors, ce qui donne cette impression de monde artificiel, coupant parfois littéralement avec la volonté initiale ou la diégèse du film. Là où Burton, par le passé, usait habilement et passionnément de décors faits à la main et d’effets spéciaux mécaniques (Edward aux mains d’argent (1991), Sleepy Hollow (2000)), il semble, sur certains projets récents, délaisser cet aspect de son cinéma au profit des nouvelles technologies informatiques. Cependant, passé la première demi-heure, le film laissera place à des décors intérieurs fabuleux et un parc d’attractions loufoque à l’esthétique purement Burtonienne, ainsi que de nombreuses mises en scènes toujours plus éléphantesques où des centaines de figurants viennent s’agiter dans un ballet maîtrisé à la perfection.
Malheureusement le film prend un temps considérable avant de voler de ses propres ailes, souffrant d’une mise en place assez lente ; mais le véritable problème vient des personnages. Concernant Dumbo, on s’attache rapidement à l’éléphanteau qui est sans aucun doute la plus grande réussite du film, autant esthétique qu’emotionnelle. Contrairement à la famille Farrier. Car le fait d’éprouver ne serait-ce qu’un semblant d’empathie pour ce trio est tout bonnement impossible ; la famille étant composée du père, Holt (Colin Farrell) et ses deux enfants, Milly (Nico Parker) et Joe (Finley Hobbins). Le pire étant Colin Farrell qui semble être le seul personnage au courant que Dumbo est en 3D et qui se cantonne au rôle du paternel qui n’écoute jamais ses enfants et refuse de croire que Dumbo puisse voler alors que TOUT LE MONDE L’A VU ! Faites un effort Holt, s’il vous plaît. Et ouvrez les yeux au lieu de suivre péniblement le groupe comme un boulet en subissant le scénario ; Cela peut paraître surprenant, mais le père de famille semble toujours déphasé et à la traîne dans l’histoire, ce qui finit par être très agaçant.
À l’inverse (et sans en faire des caisses), les personnages de la troupe du cirque itinérant possèdent une identité et une sensibilité vraiment touchante et sont menés tambour battant par le fabuleux Danny DeVito (vieillira t’il un jour ?), dans le rôle du maître de cirque, près à tout pour défendre ses intérêts, mais également ceux de cette étrange troupe, vivant en marge de la société et remplie de profils aussi bizarres que fascinants.
Michael Keaton quant à lui se cantonne malheureusement au rôle du méchant de service, vénale et obnubilé par son rêve “malhonnête”, que l’on voit arriver à cent kilomètres, dos au vent. Il se révèle sans surprise un antagoniste plat que l’on n’aime pas détester. Sur ses flancs, la sulfureuse Eva Green, qui pour le film a accepté de combattre sa peur du vide et effectue ses propres cascades. On remarquera aussi le fait que l’actrice a retrouvé son accent français et bénéficie (paradoxalement) d’un personnage féminin avec du caractère et un intérêt scénaristique concret.
Côté musicale, quelqu’un semble avoir compris très vite que les émotions sont le nerf de la guerre ; j’ai nommé le magnifique et l’irremplaçable Danny Elfman, fidèle au post de bras droit musical de Burton qui pour la “…” fois (mais jamais de trop), nous sort les choristes et les violons des valises et nous offre quelques envolées symphoniques plutôt remarquables. Dans un style à mi-chemin entre Prokofiev et Bernard Herrmann (compositeur de Hitchcock), le talentueux rouquin à lunettes connaît son travail et nous le prouve.
Contrairement à d’autres grosses machines Hollywoodiennes, les coutures d’un scénario militantisme et moralisateur ne sont ici pas trop visibles. La multitude de thèmes comme le rapport à la différence (vous commencez à le connaître celui-là), la diversité au sein d’un groupe d’individus et les animaux sauvages en captivité, sont amenés avec finesse. L’univers du cirque et des parcs d’attractions semble cher à Burton, le réalisateur y trouvant l’occasion de présenter des familles et des personnages bizarres et hétéroclites, mais surtout de mettre en lumière les liens puissants qui les unissent.
Pour conclure, Dumbo n’est pas une arnaque (et fort heureusement). Mais il subsiste dans cette œuvre des choix artistiques curieux, des personnages irritants et des facilités scénaristiques qui rendent sa digestion plus délicate que prévu. On pourrait penser que Disney semble agir comme un catalyseur sur l’imagination et le désir créatif de Burton, cependant le duo nous a habitué à des histoires moins formatées comme Frankenweenie en 2012, dans un style certes plus gothique ; mais même en admettant que pour Dumbo, la cible privilégiée soit les enfants, quelque chose nous reste en travers de la gorge.
Dumbo, un bon Disney, mais un Tim Burton un peu frustrant.
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