Nope Réalisation : Jordan Peele Scénario : Jordan Peele Avec : Daniel Kaluuya, Keke Palmer, Steven Yeun, Michael Wincott, Wrenn Schmidt... Photographie : Hoyte van Hoytema Musique : Michael Abels Distribution : Universal Pictures Durée : 2h15min Genre : Horrifique, Science-Fiction

Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
Les habitants d’une vallée perdue du fin fond de la Californie sont témoins d’une découverte terrifiante à caractère surnaturel.
Jordan Peele est ce genre d’auteur qui semble un peu trop manquer au paysage cinématographique
américain actuel, un auteur indépendant à succès. Et qui dit succès, dit forcément des promesses d’où
découlent certaines attentes. Après l’habile et brutal Get Out (2017) et le succès relatif d’Us (2019), le cinéaste était donc attendu au tournant pour son nouveau film Nope.
Probablement son œuvre la plus ambitieuse de part les moyens qu’elle a nécessité, Peele prend un tout
autre tournant dans son cinéma, explorant comme Denis Villeneuve il y a quelques années dans Premier
Contact, un rapport entre humain et ovni. Un rapport tout autre car il s’agit bien ici d’une confrontation
entre deux espèces ramenant à l’image de proie et de prédateur.
Cependant, si le thème et le concept ont été maintes fois théorisés et montrés sur grand écran, le réalisateur dans ses choix de lieux et de mises en scène parvient à nous proposer une confrontation entre
deux mondes cinématographiques avec une industrie commerciale planant dangereusement au dessus
d’un cinéma plus indépendant.

L’ovni étant une entité dévorante, attendant patiemment que l’indépendant se tourne vers lui afin de
l’assimiler comme s’il n’avait jamais exister. La confrontation prend alors tout son sens grâce à une
introduction précise des personnages, du contexte et de leurs ambitions. Le personnage d’OJ (Daniel Kaluuya) héritant des affaires de son père étant parvenu à construire toute une histoire, tout un savoir faire autour du dressage de chevaux pour le cinéma ; représente tout comme Jordan Peele, cette idée d’un cinéma conscient du poids d’un héritage immense et immensément précieux pour la bonne continuité de l’industrie. Les affaires ne sont plus aussi fructueuses et pourtant OJ souhaite poursuivre dans cette voie sans céder aux diverses propositions qui lui sont faites.
Droit dans ses bottes, le réalisateur construit plusieurs parallèles de mises en scènes et d’écriture que nous pouvons notamment constater dans le traitement animal. En effet, si les chevaux d’OJ sont réels et que celui-ci prend le temps d’écouter leurs besoins quand les autres ne le font pas, ce qui donne lieu à une scène où le cheval fini par devenir dangereux puisque l’on écoute pas ses besoins et ne témoignent aucune véritable bonne attention et intention à son égard ; dans le flashback du personnage de Ricky Park (Steven Yeun), ancienne gloire télévisuelle (là encore, l’on retrouve une confrontation entre entre une industrie télévisuelle qui fait office d’usine et le cinéma dans ton son artisanat et son prestige), où le chimpanzé devient fou et se met à tuer.
Le chimpanzé étant en image de synthèse et donc irréel, effrayant dans son aspect de tueur fou qui retrouve toutefois une part « d’humanité » lorsqu’il fait face à un être (Ricky) qui lui a déjà témoigné par le passé un geste d’humanité. Ce geste d’attention que les autres n’ont pas eut à son égard, aurait pu être salutaire de manière positive pour l’animal.

Peele en décidant d’opposer l’idée d’animal réel et celui en image de synthèse, propose une nouvelle fois
une confrontation un cinéma artisanal, « libre » et pensé, et un cinéma industriel où rien n’est réel, pas
même les intentions envers le public.
Tout comme l’ovni dévorant tout sur son passage avec une faim insatiable, le chimpanzé fini par imploser.
Le titre « Nope » prend alors tout son sens dans cette idée de rapport de force entre deux visions opposées du cinéma. Jordan Peele à l’instar de son personnage principal, décide d’ignorer les proposition et pire encore, il finit par la regarder droit dans les yeux, s’y confrontant en alliant sa personne à l’héritage de l’ancien cinéma.
En décidant d’invoquer le genre du western à la fin du film, le réalisateur pose une pierre catégorique de
refus envers une industrie dévorante qui finira selon lui par imploser. Mais s’il parvient brillamment à nous proposer une confrontation idéologique aussi puissante que celle d’un prédateur avec sa proie, celui-ci peut finir décevoir dans sa narratologie. Car en allant au bout de son image en proposant un happy end quelque peu facile, le cinéaste nui potentiellement à la logique de son film par rapport à la menace que constitue l’ovni.
Toutefois, difficile de lui reprocher d’apporter de l’espoir dans un film où la constatation de l’état de
l’industrie cinématographique américaine paraît si désespérée.
VODKASTER | ALLOCINE | SENSCRITIQUE | LETTERBOXD