Le projet de Spider-Man par James Cameron est l’un des plus célèbres films jamais réalisés à Hollywood. Ce projet avorté, qui aurait pu révolutionner le genre des super-héros bien avant que cela ne devienne la norme au cinéma, est né dans les années 1990, à une époque où les adaptations de bandes dessinées n’avaient pas encore le prestige qu’elles connaissent aujourd’hui.
Mais pourquoi ce film n’a-t-il jamais vu le jour, et comment ce projet a-t-il influencé les futures adaptations de l’homme-araignée ? Accrochez vous l’histoire est compliquée !
COMMENÇONS PAR LE COMMENCEMENT
L’implication de James Cameron dans le projet Spider-Man commence avec Cannon Films, un studio indépendant principalement connu pour ses films de sexploitation, un sous genre des films d’exploitation servant largement à véhiculer l’exhibition de situations sexuelles non explicites et de nudité gratuite. En 1979, les cousins israéliens Menahem Golan et Yoram Globus ont pris le contrôle du studio et ont adopté une stratégie commerciale pour le moins originale. Cannon Films planifiait la production de plusieurs titres et recrutait autant de grands noms d’Hollywood — acteurs, scénaristes, et réalisateurs — qu’ils pouvaient. Ensuite, ils vendaient ces titres à l’international, garantissant un profit avant même qu’un seul film ne soit produit. Parmi les oeuvres produits par Menahem Golan et Yoram Globus on retrouve notamment Highlander (1986) avec Christophe Lambert, l’un des plus gros succès de Chuck Norris le film Portés disparus (1984) ou encore Runaway Train avec Jon Voight basé sur un scénario original d’Akira Kurosawa.

Cependant, les films qui ont été réalisés étaient souvent des échecs spectaculaires, le plus notable étant Superman IV : The Quest for Peace, qui a marqué la fin de la franchise Superman au cinéma pendant des années.
Mais revenons en à Spider-man. En 1985, Menahem Golan souhaitant acquérir de nombreuses licences emblématiques et intéressé par le phénomène de l’homme araignée a négocié avec Marvel Comics une option de cinq ans sur les droits de Spider-man pour 225 000 dollars et un pourcentage des recettes brutes. Leslie Stevens, le créateur de la série Au-delà du réel est alors engagé pour écrire le scénario avec un budget de 20 millions de dollars alloué pour le film.
Cependant, en 1987 les échecs des films Cannon au box-office et une surestimation de la valeur de ses actions, conduisent le studio à la faillite. Giancarlo Parretti, homme d’affaire Italien prend alors le contrôle de la société. Spider-man est toujours d’actualité mais le budget du film est réduit à 10 millions de dollars, ce qui posait problème pour un projet qui prévoyait de dépenser cinq millions uniquement pour les effets spéciaux.
Malgré tous ses efforts, Cannon Films continuait de sombrer, et Giancarlo Parretti cherchait à évincer Menahem Golan. Un accord est finalement trouvé fin des années 1980 permettant à Golan de prendre la tête de 21st Century Films autre studio du groupe de Giancarlo Parretti, avec l’exploitations de certaines licences, y compris Spider-Man.


ARRIVE ALORS JAMES CAMERON
Menahem Golan renégocie avec Marvel les droits de Spider-Man lui laissant un peu plus de temps pour trouver des fonds afin de faire le film. Pour y parvenir, la société a vendu les droits télévisuels du film à Viacom, les droits de distribution vidéo à Columbia Tri-Star, et un deal est trouvé avec Carolco pour produire le film.
Carolco Pictures c’est le studio qui avait racheté les droits de Terminator (1984) pour produire Terminator 2 : Le Jugement dernier (1991) et avec qui James Cameron a collaboré pour le script de Rambo 2 : La Mission (1985). Carolco Pictures c’est aussi les Rambo, Angel Heart (1987) d’Alan Parker, Total Recall (1990) et Basic Instinct (1992) de Paul Verhoeven ou encore Universal Soldier (1992) de Roland Emmerich pour ne citer qu’eux.
Le deal alors en place était que Carolco Pictures financeraient le film à hauteur de 50 millions de dollars. En échange, 21st Century Films recevrait 5 millions dont 1 million irait directement à Menahem Golan qui sera aussi crédité comme producteur du film.
Content de l’immense succès qu’était Terminator 2 : Le Jugement dernier (1991), Carolco Pictures propose alors 3 millions à James Cameron, qui a manifesté son intérêt pour la licence.
LA VISION DE CAMERON
Attiré par le potentiel cinématographique du personnage de Spider-Man, James Cameron voulait créer une version plus sombre et réaliste de l’univers du super-héros, bien différente des autres adaptations de bandes dessinées de l’époque. Il a écrit un traitement détaillé d’une cinquantaine de pages pour le film, envisageant un Peter Parker jeune ado, des scènes d’action spectaculaires, et un ton plus sérieux, plus sombre dont certains passages lui auraient valu une classification R (réservé aux adultes) aux États Unis.


Tout d’abord, dans sa version, Peter Parker aurait bien été mordu par une araignée radioactive, conformément aux comics, mais aurait fabriqué de faux lanceurs mécaniques pour cacher au public la nature organique de ses pouvoirs. Un ado qui lance des toiles organique, c’est ce que Cameron estimait être une métaphore de la puberté et de tous les changements corporels.
Une idée que Sam Raimi reprendra plus tard dans sa trilogie Spider-Man et que Stan Lee adoubera dans les comics The Amazing Spider-man.
En plus de ses pouvoirs d’araignée, Peter Parker aurait également développé une soif de sang prédatrice, à l’image des araignées. Le personnage aurait vécu une transformation plus lente et étrange, marquée par des rêves fiévreux et des changements progressifs dans son corps.
Conscient de sa nature à la fois fantastique et monstrueuse, il aurait décidé de se transformer en attraction sous l’identité de Spider-Man, gagnant de l’argent dans les rues et à la télévision.
Peter aurait ainsi développé un alter-ego populaire et admiré, tout en ayant peur d’être perçu comme une créature de fête foraine. Sa romance avec Mary-Jane, était aussi centrale à l’histoire. Une scène de sexe explicite sur le pont de Brooklyn entre Peter et MJ était ainsi prévue, où il l’aurait attaché avec ses toiles, accompagné d’une longue discussion sur les rituels d’accouplement des araignées.
Côté vilains Spider-man aurait fait face à Carlton Strand un antagoniste original créé par James Cameron qui est librement basé sur Max Dillon (Electro) et Wilson Fisk (le Caïd). Le personnage, un riche homme d’affaire aurait acquis ses pouvoirs il y a des années en étant foudroyé en essayant de fuir la police pour avoir volé du mercure au Nouveau-Mexique.
Carlton Strand aurait eu le contrôle sur la technologie (téléphones, ordinateurs et réseaux de communication), pouvant manipuler les données bancaires et compagnie, s’enrichissant comme il le souhaite. James Cameron a présenté le personnage comme un mélange entre Donald Trump et Michael Milken un banquier et homme d’affaires américain inculpé pour divers fraudes.


Côté casting, Edward Furlong qui venait de faire Terminator 2 : Le Jugement dernier était envisagé par Carolco Pictures pour incarner Peter Parker tandis que Cameron voulait Leonardo DiCaprio. Arnold Schwarzenegger devait faire une apparition en Dr Octopus pour préparer la suite tandis que Lance Henriksen collaborateur régulier de Cameron était son choix principal pour incarner Carlton Strand. Concernant MJ, Nikki Cox et Robyn Lively sont toutes deux sur la shortlist. Maggie Smith fait elle l’objet de rumeurs pour incarner tante May. Enfin, R. Lee Ermey aurait pu avoir le rôle de J. Jonah Jameson.
LE DÉBUT DE LA FIN
Bien que Carolco Pictures ait produit plusieurs films à succès dans les années 1990, tels que Total Recall, Terminator 2 : Le Jugement dernier, et Basic Instinct, ce n’était pas suffisant pour combler le manque à gagner des films d’art et d’essai que la société produisait à perte. La faute notamment aux cachets astronomiques que la société offrait aux acteurs. Par exemple, Arnold Schwarzenegger a reçu un cachet sans précédent à l’époque, entre 10 et 14 millions de dollars, pour ses rôles dans Total Recall et Terminator 2, tandis que Sylvester Stallone bénéficiait d’un traitement similaire.
Carolco Pictures devait aussi faire face à un problème de taille, interne au projet. James Cameron ayant signée une totale liberté de choix sur ses équipes était catégorique sur le fait qu’il ne voulait pas de crédit pour Menahem Golan sur son film.`Craignant d’être évincé du film, Golan et 21st Century Films attaque Carolco Pictures en justice pour conserver ses droits de producteur.
Cette action a déclenché une série de poursuites croisées. Carolco Pictures en difficulté financière a poursuivi Viacom et Tri-Star pour mettre fin aux accords sur les droits de diffusion télévisuelle et de distribution vidéo et récupérer les droits. En réponse, Viacom et Tri-Star ont contre-attaqué en poursuivant Carolco, 21st Century Films, et Marvel.
Enfin, la MGM ayant racheté Cannon Films, croyait encore détenir les droits de Spider-Man et a donc intenté une action en justice contre Menahem Golan, Yoram Globus, 21st Century Films, Giancarlo Parretti, Tri-Star, Viacom, et Marvel.
En 1995, un juge a statué que les droits du film Spider-Man détenus par 21st Century avaient expiré et devaient être rétrocédés à Marvel. Le flop de L’Île aux pirates (1995) vient anéantir Carolco Pictures qui fait faillite. 21st Century Films. n’a pas non plus survécu à cette série de litiges et poursuites.


L’HÉRITAGE
James Cameron, impatient de faire des choses réalise pendant ce temps True Lies (1994) avec Arnold Schwarzenegger. Il s’attaquera ensuite à Titanic (1997) avec Leonardo DiCaprio, tournant définitivement la page de l’homme araignée.
Cameron tentera tout de même de soudoyer la Fox pour reprendre les droits et faire le film, mais en vain. Le problème juridique autour de la licence spider-man fait fuir les studios.
« Après Titanic, j’ai pris la décision de passer à autre chose, de faire mes propres projets et de ne plus travailler sur les propriétés intellectuelles d’autrui. Je pense que l’échec du projet Spider-Man a probablement été le coup de pied au derrière dont j’avais besoin pour me concentrer sur mes propres créations. » – James Cameron
Ses brouillons ne seront cependant pas inutiles, Sam Raimi et David Koepp le scénariste s’en inspireront pour la trilogie Spider-man mais Cameron ne sera cependant pas crédité.
Vous pourrez retrouver quelques visuels dessinés par le réalisateur dans Tech Noir: The Art of James Cameron (FNAC), publié en 2021, livre dans lequel le réalisateur parle du film comme le « meilleur film jamais fait ».